Ukraine-Russie: faut-il sanctionner un professeur « pro-russe » de l’Université de Montréal, ou privilégier la liberté d’expression?
Par: Arnold August
Depuis le 23 mars, le diffuseur public canadien de langue française Radio-Canada ainsi que les diffuseurs privés francophones du Québec animent une campagne visant à sanctionner un professeur de l’Université de Montréal. D’autres médias ont emboîté le pas, notamment un quotidien de Toronto et même des médias aux États-Unis. Que se passe‑t‑il? Il semble que le professeur en question serait « pro-russe ». Remettons les pendules à l’heure si vous le voulez bien…
C’est la Société Radio-Canada, financée par les contribuables canadiens, qui a porté le premier coup, le 23 mars. Le journaliste Romain Schué de RDI (la chaîne d’information francophone de Radio‑Canada) titrait alors un article accusatoire en évoquant de façon douteuse un « malaise » pour désigner ce que l’Université de Montréal considère comme « délicat » en lien avec des propos tenus par son professeur Michael J. Carley dans les médias sociaux. Romain Schué a repris des bribes du fil Twitter du professeur Carley, ce qui a rapidement suscité des commentaires désobligeants et conforté l’idée qu’on avait affaire à un professeur insensé et écervelé. L’article de M. Schué se fondait aussi sur ces commentaires anonymes hostiles au professeur Carley. D’emblée, M. Schué a semblé vouloir discréditer le professeur en le qualifiant de « pro-russe » ou de « pro-Poutine ». Or, une telle caractérisation écarte volontairement le fait que M. Carley est un professeur d’histoire ayant à son actif plus d’une cinquantaine d’années de recherches et de publications sur la politique étrangère soviétique et russe. Il a fouillé de façon exhaustive les archives russes afin d’expliquer l’idéologie soviétique d’un point de vue russe. Rares sont les chercheurs actifs aujourd’hui, toutes langues confondues, qui ont réalisé autant de travaux sur la politique étrangère soviétique de l’entre-deux-guerres.
Dans le contexte russophobe actuel, on peut penser que l’étiquette « pro-russe » ou « pro‑Poutine » est largement suffisante pour couler à fond ce professeur universitaire. Étrangement, notre journaliste Romain Schué ne semble aucunement gêné de s’appuyer principalement sur des sources américaines pour étoffer son dossier contre le professeur. Par exemple, pour dénigrer le site Strategic Culture Foundation qui a publié certains des articles de M. Carley, Romain Schué cite le rapport du Département d’État américain voulant que ce site « serait dirigé par les services de renseignement russes et serait très proche du Kremlin ». De même, pour discréditer le gazouillis de M. Carley sur l’attaque contre l’hôpital de maternité de Marioupol, M. Schué choisit comme source une émission de Radio-Canada qui est diffusée sur sa propre chaîne RDI (dont nous reparlerons plus loin), ayant pour mission de « combattre la désinformation ». Or, cette émission reprend à son tour l’information du réseau américain ABC et de son allié britannique BBC. Voilà qui mérite une sérieuse réflexion... Il n’en demeure pas moins que le professeur Carley, comme historien, s’emploie à cerner et à élargir le point de vue russe en misant autant sur des sources russes et que sur d’autres sources. Lorsqu’il prend parti, sa position est fondée sur un éventail de sources et d’études, ainsi que sur ses propres voyages d’enquête en Russie. Il s’agit d’un expert qui s’intéresse de longue date aux relations entre la Russie et l’Occident.
La manière dont l’article de M. Schué est rédigé reflète une tendance de plus en plus vilaine à maintenir aussi hermétique que possible le discours des États-Unis, du Canada et de l’OTAN sur le conflit Ukraine-Russie. J’ai rarement vu un tel effort pour imposer un black-out médiatique généralisé. Ce genre d’ambiance règne généralement lorsqu’un pays est en guerre, et le Canada est bel et bien en guerre par procuration avec la Russie en ce moment, par l’entremise de l’Ukraine.
Depuis le 23 mars, l’article original publié par RDI a été mis à jour : on y a ajouté une référence au communiqué que le professeur Carley a publié le 4 avril. L’essentiel de l’article reste toutefois inchangé. Lisez-le ici pour tirer vos propres conclusions.
Qui est le professeur Michael J. Carley?
D’après le site de l’Université de Montréal, Michael Jabara Carley est né à Brooklyn, dans l’État de New York. Il a étudié à l’université George Washington et à l’Université Queen’s de Kingston (Ontario). Après avoir été professeur d’histoire à l’université d’Akron (Ohio), il est devenu directeur du Département d’histoire de l’Université de Montréal (de 2007 à 2014). En tant que professeur titulaire, il poursuit ses recherches sur les relations entre les pays occidentaux et l’URSS ou la Fédération de Russie.
Il était membre du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) jusqu’à ce qu’il en soit écarté sur le champ et sans ménagement par le directeur de ce centre, sur la seule base de l’article de RDI.
Le professeur Carley est un spécialiste des relations internationales au XXe siècle et de l’histoire de la Russie et de l’Union soviétique. Ses recherches portent sur les relations de l’Union soviétique avec l’Europe occidentale et les États-Unis, de 1917 à 1945. Il a signé trois ouvrages et une centaine d’articles et d’essais sur l’intervention française dans la guerre civile russe (1917‑1921), sur les relations de l’Union soviétique avec les grandes puissances dans l’entre‑deux‑guerres, sur les questions de l’« apaisement », sur les origines et la conduite de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que sur diverses questions d’actualité. Ses ouvrages ont été publiés au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Italie, en Russie et ailleurs, et traduits dans une douzaine de langues.
Le professeur Carley a récemment travaillé à deux projets de livres d’envergure. Le premier porte sur la confrontation entre la Russie (ou l’URSS) et l’Occident, de 1917 à 1930. Intitulé Silent Conflict: A Hidden History of Early Soviet-Western Relations, ce livre a été publié en 2014 par l’éditeur américain Rowman & Littlefield. La traduction française a été publiée par les Presses de l’Université de Montréal en 2016, sous le titre : Une guerre sourde : L’émergence de l’Union soviétique et les puissances occidentales. Le livre a fait l’objet d’une traduction en russe, en 2019. Le second projet a été soutenu par une importante subvention de recherche du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), un organisme subventionnaire du gouvernement canadien. L’ouvrage porte sur les origines et la création de la « Grande Alliance » contre l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. La rédaction de ce deuxième livre en trois volumes (1930-1941) est maintenant terminée (Le tome I a été accepté pour publication) avec pour titre provisoire A Near-Run Thing: The Grand Alliance of World War II.
Auteur de trois ouvrages, dont deux traduits en plusieurs langues, M. Carley a signé plus de 115 articles ou chapitres de livres, et reçu une quinzaine de distinctions. Il parle, écrit et lit l’anglais et le français, en plus de lire le russe. D’ailleurs, l’un de ses articles (2017) a attiré mon attention : « Chrystia Freeland: Kiev’s Minister of Foreign Affairs in Ottawa. » Les liens très discutables entre les néonazis ukrainiens et celle qui est actuellement ministre des Finances et vice‑première ministre du gouvernement Trudeau, Mme Freeland, suscitent effectivement l’embarras au Canada. Beaucoup de Canadiens seraient fiers de féliciter le professeur Carley d’avoir osé écrire un tel article, dans les couloirs sacrés des milieux universitaires.
Dans son article, M. Schué cherche plutôt à ridiculiser les gazouillis du professeur Carley sur « les fascistes » en Ukraine, « l’évacuation des civils » bloquée par « les troupes d’Azov, les fascistes ». Il ajoute avec mépris que M. Carley n’hésite pas à partager des messages d’organisations officielles russes « qui évoquent la présence de nazis en Ukraine ». Qui parle d’évocation? Le journaliste aurait pu trouver lui-même des preuves de cela, ici même au Canada, dans quatre articles entièrement documentés en anglais par des journalistes canadiens :
«A friend of oligarchs and right-wing Ukrainian nationalists: Chrystia Freeland and Canadian imperialism», par Bruce Katz, Montréal (Une amie des oligarques et des nationalistes ukrainiens de droite.)
«The Canadian-led quest toto protect US hegemony in Latin America: Chrystia Freeland and Canadian imperialism », par Bruce Katz, Montréal (La quête menée par le Canada pour protéger l’hégémonie des États-Unis en Amérique latine : Chrystia Freeland et l’impérialisme canadien.)
« Long history of Ukrainian-Canadian groups glorifying Nazi collaborators exposed by defacing of Oakville memorial » par Aidan Jonah, Toronto (La longue histoire des groupes ukraino-canadiens glorifiant les collaborateurs nazis est révélée par la dégradation du mémorial d’Oakville.)
« America's Trojan-horse at the heart of the Canadian government: Chrystia Freeland and Canadian imperialism » par Bruce Katz, Montréal (Le cheval de Troie de l’Amérique au cœur du gouvernement canadien : Chrystia Freeland et l’impérialisme canadien.)
Globalement, ces articles et beaucoup d’autres permettent de faire toute la lumière sur la question, mais l’article pro-américain de M. Schué publié par RDI a tout fait pour nier et ridiculiser le fait que le régime ukrainien soit infesté de nazis. En français, on trouve également cette vidéo de quatre minutes qui conteste la position de toute évidence pro-États‑Unis de M. Schué.
On serait en droit de se demander aussi pourquoi le journaliste s’est limité à citer des gazouillis d’à peine quelques caractères de M. Carley tout en ignorant les articles exhaustifs et bien documentés de ce dernier sur le sujet (tous mis en référence dans sa note biographique sur le site de l’Université de Montréal). On peut penser notamment à celui intitulé « Why Canada Defends Ukrainian Fascism », mars 2018 (Pourquoi le Canada se porte à la défense du fascisme ukrainien). Tout journaliste éthique n’aurait-il pas inclus cette source parmi ses principaux éléments d’information?
Dans un récent webinaire produit au Canada à propos de l’Ukraine, le militant pacifiste canadien Ken Stone fournit des données complètes non seulement sur le soutien d’Ottawa aux des forces nazies en Ukraine au XXIe siècle, mais aussi sur l’ingérence étonnante – mais relativement méconnue – du Canada dans les affaires intérieures de l’Ukraine depuis une centaine d’années. Cette ingérence a toujours eu lieu du côté des forces de droite et, depuis la Seconde Guerre mondiale, elle est facilement devenue une forme de soutien actif aux activités pronazies (visionnez le webinaire anglais ou avec sous-titres en français).
Que vous faut-il de plus? Que diriez-vous d’une source de premier ordre, que M. Schué tiendrait probablement en haute estime… Il s’agit du président Zelensky lui-même, qui déclarait à propos du bataillon Azov : « Ils sont ce qu’ils sont. Ils défendaient notre pays et ils font partie de l’armée ukrainienne. » Constatez par vous-même en visionnant cette confession d’une minute, gracieuseté de Fox News.
Et voici que même CNN est forcée d’admettre la chose :
Pour peu, on se demanderait si notre journaliste ressent lui-même un quelconque « malaise » d’être contredit par ses collègues de CNN…
Tout compte fait, c’est bien plus l’article de Romain Schué qui cause un « malaise » que M. Carley lui-même
À 14 h le 30 mars, sous le gazouillis de M. Schué où ce dernier publicisait son article initial (cité ci-dessus) dans les médias, on comptait déjà 178 gazouillis et partages pour défendre le droit à la liberté d’expression de M. Carley (sans compter les nombreuses réponses positives à ces gazouillis). En revanche, seulement 53 gazouillis proposaient de sanctionner le professeur (souvent de manière expéditive : « Dehors! » « Get out! »). Enfin, 59 commentaires étaient trop ambivalents pour être évalués.
Par contre, dans les commentaires qui accompagnent l’article original de M. Schué sur le site Web du réseau de télévision publique RDI, on a affaire à un autre type de lectorat : la majorité des internautes appellent à des sanctions contre le professeur Carley. À la lecture de ces commentaires, on comprend toutefois que les lecteurs réagissent surtout aux extraits que le journaliste a repris de Twitter et qu’ils ignorent totalement l’ampleur des travaux et l’expertise considérable de M. Carley sur la Russie et l’Union soviétique.
Attaque contre un hôpital de maternité à Marioupol
Dans son article, M. Schué accuse aussi le professeur de relayer « une fausse nouvelle » qui remet en question le prétendu bombardement russe d’un hôpital à Marioupol. Au cœur de cette histoire se trouve une femme enceinte et vulnérable. Mais quelle preuve le journaliste de RDI avance-t-il ici d’une atrocité russe? Il s’appuie sur l’émission qui « traque les fausses informations » de RDI intitulée Les Décrypteurs. Depuis le début de la crise ukrainienne, cette émission s’emploie à dénigrer superficiellement les informations qui dérogent un tant soit peu du discours de l’OTAN. Les Décrypteurs n’hésitent pas à qualifier de « FAUX » les arguments avancés par le ministère russe des Affaires étrangères pour rétablir la vérité sur l’incident de l’hôpital de Marioupol (voir ci-dessous). Sur l’image de gauche, l’émission reprend l’affirmation des Russes selon laquelle le bataillon Azov avait évacué de force cet hôpital pour l’occuper à des fins militaires bien avant les frappes. Vrai ou faux? L’affaire est entendue ci-dessous grâce à un témoin surprise : sur l’image de droite, la source russe tente d’identifier la victime, Marianna Vishemirskaya. Avec son nouveau-né, celle-ci a tourné en boucle dans tous les médias occidentaux comme étant « une victime de la Russie ». Certes, les Russes se trompent sur le véritable rôle qu’a joué cette femme, mais voient juste en ce qui concerne le photographe, Evgeniy Maloletka.
La victime en question, Marianna Vishemirskaya, a été interviewée. Voici une vidéo YouTube dans laquelle elle décrit dans ses propres mots ce qui s’est réellement passé. Soulignons qu’elle explique comment les membres d’Azov ont évacué de force les patients de l’hôpital avant de voler leurs vivres et d’occuper les lieux. Il n’y a eu aucun bombardement, mais plutôt une frappe qui ne pouvait venir que du côté ukrainien.
Voici la bande originale sous-titrée en anglais: https://youtu.be/mPo-DSrIEB4
La légende qui accompagne la photo confirme la participation du photographe Evgeniy Maloletka.
Après avoir feint de s’intéresser à sa situation désespérée en essayant de la photographier à l’hôpital (contre son gré), le photographe Maloletka se retourne ensuite contre elle sur sa page Facebook et endosse la version officielle ukrainienne. Celle-ci correspond d’ailleurs à celle de l’Associated Press.
Les faits qu’elle avance ont été corroborés sur le terrain en Ukraine. Des témoins oculaires ont expliqué comment l’hôpital avait été évacué de force par le bataillon nazi, qui a ensuite utilisé les lieux comme base militaire. Voyez plutôt le récit des faits ici (en anglais).
Cette incursion journalistique dans la controverse sur cet hôpital ne vise pas à rallier la population ou les journalistes (dont M. Schué ou Les Décrypteurs de RDI) aux affirmations des Russes ni à celles de l’OTAN. Cependant, puisque M. Schué se sert essentiellement de la controverse autour de cet hôpital pour asseoir ses allégations contre le professeur Carley, il semble évident que les récents développements justifient de corriger le tir et devraient inciter l’Université de Montréal et le public canadien à mettre en valeur l’expertise du professeur Carley plutôt que de le sanctionner en niant son droit à la liberté d’expression et – faut-il le rappeler – à la liberté universitaire. En fait, l'Université de Montréal n'a pas cédé à l'hystérie russophobe du gouvernement et des médias et n'a donc pas sanctionné le professeur Carley. En tant que Québécois, je suis très déçu de constater que notre diffuseur public de langue française sombre à tel point dans la rhétorique états-unienne. Pourtant, la rigueur journalistique qui le caractérisait à la fin des années 50 et dans les années 60 le plaçait dans une classe à part parmi les médias nord-américains. N’est-il pas hautement paradoxal que les reportages diffusés par RDI, tels que ceux de M. Schué, ne reflètent aucunement l’habituelle suffisance du libéralisme canadien voulant que « nous sommes meilleurs que les États-Unis »? Cette présomption de laver plus blanc que blanc contraste grandement avec « les méchants » qui sévissent bien « à droite » des « libéraux » de RDI, comme chez Fox News par exemple. Ces derniers n’ont pourtant pas hésité à diffuser récemment une entrevue intégrale et non censurée avec l’auteur et analyste Dan Kovalik, qui défend la position russe à propos de l’Ukraine. L’entrevue (que l’on peut visionner ici) a été menée par nul autre que Tucker Carlson, un illustre tenant de la droite.
À suivre RDI depuis le début de la crise entre l’Ukraine et la Russie, il apparaît de plus en plus clairement que cette chaîne devient un simple relais infopublicitaire des États-Unis, du Canada et de l’OTAN. L’article « pro-États-Unis » de M. Schué n’est que le plus récent épisode d’une longue série. En vue d’un webinaire organisé au Canada, le 14 mars 2022, les rédacteurs en chef de l’émission Les Décrypteurs de RDI (Alexis de Lancer et Jeff Yates) avaient été invités personnellement. Voici :
Or, les journalistes de RDI n’ont pas répondu à cette invitation. Dans ma présentation lors de ce webinaire, j’ai abordé la question de l’hôpital de Marioupol en rappelant les antécédents de longue date des États-Unis à utiliser de faux pavillons comme prétexte pour envahir un pays ou justifier d’autres types d’agressions. J’ai aussi fourni d’autres renseignements (avec des images à l’appui tirées du site de RDI) qui montraient sans équivoque que ce réseau financé par des fonds publics devient de plus en plus pro-États-Unis, allant jusqu’à s’intégrer au bataillon de 1 000 militaires canadiens qui combattent et s’entraînent aux côtés des forces armées ukrainiennes infestées de nazis. Peut-on parler de journalisme objectif? Les lecteurs qui ont été bernés par M. Schué devraient peut-être reconsidérer leur position. Sachant tout cela, peut-on se fier à RDI pour se faire une tête? Voici la vidéo de ma présentation d’une dizaine de minutes (en anglais et en français) dans le cadre de ce webinaire.
Boutcha : la rédemption du professeur Carley?
Je vous soumets une hypothèse qui peut paraître tirée par les cheveux dans le contexte où les médias grand public considèrent ce plus récent chef d’accusation contre la Russie comme un véritable coup de maître qui enfonce le dernier clou dans le cercueil de la crédibilité russe. Or, dans son enthousiasme à sauter à la gorge de l’ours, l’OTAN risque de mettre le doigt dans l’engrenage d’un fiasco majeur sur l’air bien connu des « armes de destruction massive ». Avant de chercher à départager la réalité et la fiction, précisons que l’affaire Boutcha est survenue après la publication de l’article de M. Schué. Malheureusement, la diffamation à l’endroit du professeur Carley semble avoir une bonne durée de vie, et pourrait même ne pas avoir de date de péremption si rien n’est fait pour contrer ce genre de journalisme. En effet, cette forme de diffamation tous azimuts ne peut que se retourner contre le professeur, et il nous incombe de déconstruire l’incident le plus récent.
Revenons au 30 mars dans la ville de Dmytrivka, à un peu plus de 11 kilomètres au sud‑ouest de Boutcha. Nous sommes à la veille de la tuerie de Boutcha, qui aura lieu le 1er avril. En ce 30 mars, les soldats ukrainiens se filment fièrement. Selon le New York Times, cette vidéo montrerait des troupes ukrainiennes en train de tuer des soldats russes captifs. L’histoire a été publiée par le journaliste primé Evan Hill. Il s’agit d’un journaliste non partisan, comme en témoigne la note biographique à son sujet.
Selon le New York Times : « Une vidéo mise en ligne lundi [4 avril] et vérifiée par le New York Times semble montrer un groupe de soldats ukrainiens tuant des troupes russes capturées tout près d’un village à l’ouest de Kyiv. “Il est toujours en vie. Filmez ces maraudeurs. Regardez, il est encore en vie. Il halète”, dit un homme pendant qu’on aperçoit un soldat russe dont la tête est recouverte d’une veste, qui est apparemment blessé mais qui respire encore. Un soldat tire alors deux fois sur l’homme. Puisque celui-ci bouge encore, le soldat lui tire à nouveau dessus. Il ne bouge plus. » Lisez la version complète de l’article du New York Times ici. Pour voir la vidéo, cliquez ici (cette vidéo comporte des scènes troublantes).
Le correspondant de RDI, M. Schué, n’a pas commis d’autre article à propos du professeur Carley, mais il poursuit néanmoins sa croisade favorable à l’OTAN et aux États-Unis. Par exemple, le 3 avril, il a publié un gazouillis avec la mise en garde « Images choquantes et dramatiques », où il republiait le gazouillis d’un boxeur ukrainien bien connu, Klitschko. Dans son message, ce dernier faisait référence à Boutcha en parlant d’un « génocide ».
Ce déferlement dans les médias sociaux s’inscrit dans la volonté de l’OTAN et des États-Unis de discréditer toute opposition à l’OTAN. Il s’agit de faire échec à quiconque ose remettre en question les arguments hermétiques de l’Occident, que ce soit le professeur Carley ou un autre. Ce sportif ukrainien Klitschko – qui semble être devenu la nouvelle source journalistique de prédilection de M. Schué – laisse libre cours sur son fil Twitter à la plus haineuse russophobie pro-OTAN. L’un de ses gazouillis présente d’ailleurs un montage de Poutine dans un cercueil sous la surveillance jubilatoire d’un Zelensky satisfait. Notons qu’aucun de ses gazouillis (qui se comptent par centaines) ne fait référence à un accord de paix quelconque négocié entre Kyiv et Moscou. Au contraire, ils encouragent le gouvernement Zelensky, infesté de nazis, à poursuivre sans fin cette guerre contre la Russie, tout en plaidant hypocritement « contre la guerre » et « pour la paix ». Paradoxalement, alors que M. Schué ridiculise le professeur pour avoir pris au sérieux la nazification de l’Ukraine, il fait la promotion du fil Twitter de Klitschko qui confirme les allégations « pro-Kremlin » de nazification de l’Ukraine. Le lecteur pourra en juger par lui-même (de nombreux gazouillis et égoportraits de Klitschko sont en anglais). Dans un tel contexte, on ne se surprendra pas que la CNN états‑unienne, à l’instar de M. Schué, se laisse charmer par Klitschko et n’hésite pas à le mettre à l’avant-scène.
Pourtant, il y a d’autres interprétations à propos du « massacre de Boutcha », comme dans cet article très documenté qui mérite d’être lu, publié le 5 avril 2022 sous le titre : « Staged Massacre in Bucha » (Un massacre mis en scène à Boutcha). Au moment d’écrire ces lignes, il apparaît de plus en plus clairement à de nombreux commentateurs et journalistes que le « massacre de Boutcha » est aussi mensonger que les fameuses « armes de destruction massive » ayant conduit à la guerre en Irak, en 2003. S’il en faut davantage pour convaincre, voici une liste d’autres articles documentés [les titres en anglais sont traduits ici en français] :
Faux : des cadavres de civils gisent dans les rues de Boutcha depuis le 11 mars
Faux : Meduza a prouvé que les civils de Boutcha ont été tués par les troupes russes
Que s’est-il passé à Boutcha? Une analyse complète de la provocation ukrainienne
Faux : des soldats russes ont tué une jeune femme ukrainienne à Boutcha
Faux : un soldat russe se vante d’avoir tué des civils à Boutcha
Faux : les photos des soldats qui ont tué des civils à Boutcha ont été rendues publiques
Faux : des soldats russes ont tué des enfants à Boutcha
Faux : les corps dans les rues de Boutcha n’ont pas été déposés exprès
Les forces spéciales ukrainiennes n’ont trouvé aucun corps à Boutcha
Tout cela suscite chez moi une réflexion : M. Schué a publié son article original avant que les fausses nouvelles sur Boutcha soient mises en lumière. Depuis, son article a été mis à jour pour mentionner seulement le communiqué de presse diffusé par l’avocat du professeur Carley concernant le journaliste de RDI. M. Schué n’a pas pris la peine de porter les révélations sur Boutcha à l’attention du public québécois. Pourquoi? L’information est pourtant accessible à tous. De plus, le 7 avril, le budget du gouvernement Trudeau accordait 500 millions de dollars d'aide militaire à l'Ukraine dans les termes suivants, tels qu'exprimés par la ministre des Finances, Chrystia Freeland :
« Mais après avoir vu les gens mutilés de Boutcha, abattus alors qu’ils avaient les mains attachées derrière le dos, nous avons compris que ces mesures ne seraient pas suffisantes. Poutine et ses hommes de main sont des criminels de guerre. Les démocraties du monde entier, y compris la nôtre, pourront être en sécurité seulement lorsque le tyran russe et ses armées seront vaincus. »
Sur son fil Twitter, M. Schué ne manifeste aucun intérêt pour le démontage des fausses nouvelles qui se poursuit à propos de Boutcha. Ça ne l’a pas empêché de se passionner pour la visite du premier ministre britannique Boris Johnson à Kyiv, qu’on a vu en train de marcher aux côtés de M. Zelensky. Tout le monde se souvient pourtant du mépris et de la dérision dont étaient animés les journalistes canadiens à l’égard du duo Trump-Johnson. Aujourd’hui – et presque du jour au lendemain – Boris Johnson est désormais admiré avec flagornerie, comme en fait foi ce gazouillis de M. Schué :
« Des images incroyables! Premier chef d’État du G7 à venir en Ukraine, dans les rues de Kiev. Des images symboliques et qui pourraient marquer un tournant dans l’aide occidentale? »
Visionnez la vidéo de la promenade Johnson-Zelensky sur le fil Twitter de M. Schué.
Est-il permis de croire qu’il existe un lien entre la visibilité relativement faible et étouffée qu’on a réservée aux meurtres filmés de Dmytrivka, le 30 mars, et l’importante médiatisation du 1er avril à propos de Boutcha? L’OTAN aurait-elle orchestré un tollé international sur Boutcha pour couvrir Dmytrivka? S’il est impossible de confirmer une telle hypothèse pour l’instant, on ne saurait rejeter non plus le scénario de cause à effet Dmytrivka-Boutcha. La preuve : le spectre de Dmytrivka continue de hanter l’OTAN et il est évoqué assez souvent, même par les médias institutionnels. Par exemple, le 8 avril, CNN a interrogé l’ancien commandant suprême des forces alliées de l’OTAN, le général Wesley Clark, à propos des exécutions de Dmytrivka. M. Clark n’a pas nié qu’elles aient eu lieu. Cependant, il les a minimisées en proposant une explication étonnante :
CNN/Jim Sciutto : Comment faites-vous cela [les exécutions]? Comment gérez-vous cela? Même s’ils sont témoins de ce que fait la Russie?
CLARK : Il faut une formation préalable. Il faut que les gens comprennent les règles. Vous devez avoir une visibilité de commandement sur leurs actions. Mais je vais vous dire, Jim : ces combats en Ukraine sont si brutaux. C’est tellement personnel. C’est si douloureux pour ces gens que je ne les excuse pas, mais ce n’est pas inattendu. Les gens – les Russes – exécutent des soldats ukrainiens, ils exécutent des civils. Ils font des choses horribles. Et les passions sont très vives. Donc, je demande instamment à la chaîne de commandement ukrainienne de faire tout ce qu’elle peut pour retenir ses propres soldats. Ces soldats russes capturés doivent être interrogés, ramenés. Ils sont une source importante de renseignements. Ne leur faites rien d’autre. [traduction]
Puisque certains commentateurs semblent entretenir de forts soupçons à l’égard du fait que Boutcha ne serait qu’un grotesque faux pavillon pour couvrir Dmytrivka (ce qui semble avéré) et puisque ce cynisme était encore manifeste une semaine après l’incident, il semble que Dmytrivka a effectivement mené à Boutcha. Les faits entourant les événements de Dmytrivka et de Boutcha donnent à penser que cette affaire – à l’instar d’autres questions embarrassantes comme celle de l’hôpital – mine lourdement la crédibilité journalistique que Romain Schué de RDI voudrait faire valoir pour bâillonner le professeur Carley.
Dans toute cette controverse, l’aspect le plus troublant tient sans doute à la tentative à peine voilée des États-Unis et de l’OTAN de dissimuler les événements de Boutcha. Voici le gazouillis épinglé le 3 avril par le ministère russe des Affaires étrangères :
Le 5 avril, Twitter a dissimulé le contenu de ce gazouillis, obligeant les internautes à cliquer pour accéder au véritable gazouillis. Voici le gazouillis qui avait été dissimulé (suivi par la traduction vers le français):
DÉCLARATION DU MINISTÈRE RUSSE DE LA DÉFENSE
En date du 30 mars, toutes les unités russes avaient complètement quitté Boutcha.
Durant l’occupation de la ville par les forces armées russes, aucun résident de l’endroit n’a subi quelque violence que ce soit.
Les soi-disant « preuves à l’égard de crimes » commis à Boutcha ne sont apparues qu’au quatrième jour, c’est-à-dire lorsque les services de sécurité ukrainiens et les représentants des médias ukrainiens sont arrivés dans la ville.
Les images publiées par le régime de Kiev montraient des cadavres sans aucune rigidité cadavérique ni taches cadavériques typiques après au moins 4 jours, et dont les blessures contenaient du sang non consumé.
Les photos et les images de Boutcha sont encore une autre supercherie, une provocation mise en scène par le régime de Kiev à l’intention des médias occidentaux.
Le ministère russe des Affaires étrangères demande de rétablir ce gazouillis. Voici une autre indication que les allégations de l’OTAN reposent vraisemblablement sur des bases fragiles (suivi par la traduction vers le français):
Le Royaume-Uni, qui préside actuellement le Conseil de sécurité de l’ONU, vient d’opposer son veto à une demande de la Russie de discuter des événements de Boutcha. Prenons quelques instants pour bien saisir l’affaire : l’OTAN porte des accusations parmi les plus graves contre la Russie et ses dirigeants sans aucun élément de preuve admissible ou autre, mais cette dernière se voit refuser le droit de plaider sa cause au Conseil de sécurité de l’ONU?
Le visage montréalais du gouvernement ukrainien infesté de nazis
Au Québec, au Canada et aux États-Unis, plusieurs entreprises médiatiques n’ont pas hésité à emboîter le pas à M. Schué et à RDI, après le 23 mars. Les autres articles n’offrent rien de vraiment nouveau. Cependant, dans un souci de transparence totale, nous les publions ici dans leur intégralité, avec quelques commentaires d’appoint pour permettre au lecteur de tirer ses propres conclusions. Citons le plus important quotidien privé de langue française au Québec, La Presse, qui a fait preuve d’une certaine originalité. Tout d’abord, après avoir constaté la brèche exploitée par M. Schué, La Presse a cru bon d’alimenter à sa façon le concept de « malaise » cher à ce dernier, en tirant en manchettes : « Sanctions réclamées contre un professeur pro-russe ». Deuxièmement, La Presse a été le premier média à se servir de la controverse sur les commentaires du professeur Carley afin de donner la tribune à une partisane inconditionnelle du gouvernement ukrainien infesté de nazis, c’est-à-dire Katia Sviderskaya, basée à Montréal. Voici comment La Presse rapporte les propos de Mme Sviderskaya, qui étudie à l’Université de Montréal :
Si rien de plus n’est fait [à part son retrait du CÉRIUM et quelques commentaires réprobateurs de la direction], Katia Sviderskaya redoute que le professeur libère la parole d’étudiants prorusses, comme c’est arrivé le mois passé. Au début de l’offensive russe en Ukraine, un camarade de classe s’était rangé derrière les arguments de M. Carley, rapporte-t-elle. « Il m’a écrit pour me dire qu'il avait raison sur certains points, que les médias occidentaux rapportaient n’importe quoi, qu’il y a des nazis en Ukraine... »
Mme Sviderskaya expose clairement son intention d’étouffer toutes les opinions contraires aux siennes. Cet aveu tacite aurait dû servir de signal à la communauté universitaire et au public pour cesser toute forme de harcèlement ou de diffamation à l’endroit du professeur. Enfin, La Presse mentionne également une pétition contre le professeur, qui circule à l’Université et qui est coparrainée par Katia Sviderskaya.
L’un des deux plus importants journaux privés de langue anglaise au Canada, le Globe & Mail, écrit que « deux étudiants de l’Université de Montréal [dont Katia Sviderskaya] ont lancé une pétition contre un professeur d’histoire en poste depuis longtemps afin de dénoncer des “commentaires choquants” dans les médias sociaux en faveur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ».
Pour sa part, le Montreal Gazette utilise un angle différent, titrant une menace à peine voilée pour tenter de coincer l’établissement universitaire : « L’Université de Montréal se porte à la défense d’un professeur qui adopte une position pro-russe au sujet de l’invasion de l’Ukraine ». [traduction]
Le Journal de Montréal n’a pas mentionné la pétition ni la controverse, mais a fourni à Sviderskaya une publicité gratuite.
L’hebdomadaire américain Newsweek a titré : « Le soutien d’un professeur de Montréal à l’invasion de l’Ukraine par la Russie suscite une pétition étudiante », citant principalement le Montreal Gazette.
Vu l’évolution de la situation en Ukraine et les répercussions à l’échelle mondiale, n’aurait-on pas intérêt à donner le droit de parole à des personnes du calibre du professeur Carley, qui se présente comme un historien et un expert de la Russie, plutôt que de chercher à le museler et à le sanctionner, que l’on soit ou non d’accord avec lui?
La campagne menée par RDI contribue à interdire toute divergence par rapport au discours officiel des États-Unis, du Canada et de l’OTAN sur l’Ukraine, en faisant pression sur l’Université de Montréal pour qu’elle sanctionne un professeur qui exerce son droit à la liberté d’expression. L’Université de Montréal est restée officiellement neutre sur le conflit Ukraine-Russie et n’a pas cédé aux demandes de sévir contre le professeur Carley.
En conclusion, posons la question : les preuves documentées précédemment ne justifient-elles pas de cesser sur le champ toute diffamation contre le professeur Carley? Que l’on soit d’accord ou non avec lui, il faut respecter son droit à la liberté d’expression et à la liberté universitaire. Les demandes insistantes de sanctions à son endroit doivent cesser, et le CÉRIUM se doit de le réintégrer dans son poste au centre d’études et de recherches. Enfin, une question reste en suspens : à quand une enquête de la part du télédiffuseur public RDI et de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec sur la validité de l’article de M. Schué et sa conformité à l’éthique journalistique?
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