CELAC : Un pas important vers l’inévitable remplacement de l’OEA
Arnold August
Le VIe Sommet de la Communauté d’États latino-américains et caribéens (CELAC) s’est tenu à Mexico le 18 septembre dernier et réunissait 31 États. À l’approche de cette rencontre, l’on s’attendait grandement à une déclaration importante de la CELAC annonçant qu’elle remplacerait de facto l’Organisation des États américains (OEA), située à Washington. Cette idée avait émergé à la suite de certaines remarques faites par des leaders politiques avant le Sommet. Heureusement, ce changement radical n’a pas eu lieu.
Cette sage décision s’appuie sur la prévoyance et le sens politique acquis par de nombreux dirigeants latino-américains, non seulement au cours des dernières décennies, depuis les révolutions cubaine et bolivarienne, mais d’aussi loin qu’il y a deux siècles, lorsque Simón Bolívar a engagé la lutte visant à émanciper toute la région du colonialisme espagnol et à l’intégrer.
Le président Nicolás Maduro a donné le ton en évoquant notamment le chemin qui a mené à la formation de la CELAC ainsi que le rôle d’Hugo Chávez et du Vénézuéla, fondé sur l’héritage de Bolívar. On a aussi publié un gazouillis exprimant que la présence de Chávez se faisait bel et bien sentir à l’événement : « Je regarde teleSur et je suis inspiré : Chávez est au Sommet. »
Avant de présenter son point de vue sur le processus de la CELAC visant à renforcer l’intégration, avec la chance que l’ordre alphabétique ait fait en sorte que le chef d’État du Vénézuéla soit le dernier à prendre la parole, Maduro a répliqué aux deux présidents qui s’étaient exprimés avant lui. Ceux-ci avaient formulé de fausses accusations soutenant que le Vénézuéla était antidémocratique et que l’OEA était indispensable, donc nullement en contradiction avec la CELAC. Sur cette dernière question concernant l’OEA et la CELAC, le chef d’État vénézuélien n’est pas du même avis. En fait, sa présence même au Sommet constitue une défaite éclatante du Nord, qui comprend les États-Unis et le Canada, de même que quelques-uns de leurs alliés latino-américains qui ont tenté de le renverser et de l’ostraciser au sein de la communauté internationale. Maduro a affirmé avec force qu’il existe effectivement une contradiction entre l’OEA et la CELAC, qui remonte d’ailleurs au XIXe siècle, comme le monroisme contre le bolivarisme.
Il a proposé, entre autres, la composition d’un Secrétariat général de la CELAC, qui disposerait d’un pouvoir suffisant pour diriger la concrétisation du rêve d’intégration de l’Amérique latine et des Caraïbes, qui s’inscrirait dans une « nouvelle institutionnalisation » de la CELAC.
En effet, le 18 septembre dernier, les conditions n’étaient pas encore réunies pour que l’OEA soit en effet remplacée par la CELAC. Si cette mesure avait été prise prématurément, elle aurait eu l’effet inverse que prévu. Premièrement, d’après les déclarations de nombreux représentants de gouvernements qui s’affichent contre l’OEA, il était clair que la pandémie demeurait une préoccupation majeure; ainsi, un débat hâtif et les inévitables contradictions découlant du passage tectonique de l’OEA à la CELAC auraient nui à la lutte contre la pandémie.
Deuxièmement, une autre préoccupation immédiate a été exprimée à Mexico, en particulier par les petites nations insulaires des Caraïbes : les changements climatiques, qui constituent un enjeu direct pour l’existence même de ces peuples vulnérables. Dans ce contexte, une priorité du moment pourrait être la politique des pays d’Amérique latine et des Caraïbes en vue de la prochaine conférence internationale sur les changements climatiques (COP26), qui aura lieu du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow, en Écosse.
Troisièmement, de nouveaux changements politiques vers la gauche dans la région au cours de l’année à venir contribueraient grandement à la composition de la CELAC dans son objectif de remplacer l’OEA. Le scénario le plus évident qui se dessine à cet égard est celui des élections présidentielles brésiliennes d’octobre 2022. Le Brésil s’est retiré de la CELAC sous le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro; il était donc absent à Mexico. Luis da Silva, l’un des premiers défenseurs de la CELAC, se trouve en tête des sondages en vue des élections de 2022. Par ailleurs, la Colombie (qui a boycotté le Sommet de Mexico pour protester contre le gouvernement Maduro et faire la cour à Washington) se rend aux urnes le 29 mai 2022 pour le premier tour des élections, pour lequel le gauchiste Gustavo Petro figure, à l’heure actuelle, en tête dans les sondages. Le Chili élira lui aussi un nouveau président le 21 novembre 2021, avec la possibilité qu’une coalition de gauche remplace Sebastián Piñera, de l’ère Pinochet. Ce dernier doit, en fait, se trouver dans une position relativement faible, puisque son représentant à Mexico n’a pas osé critiquer Maduro ni l’objectif de la CELAC de remplacer l’OEA. C’est peut-être un bon signe quant à l’issue des élections chiliennes.
Ainsi, l’orientation consistant à combiner l’institutionnalisation progressive de la CELAC tout en semblant attendre patiemment de nouveaux glissements vers la gauche sur la carte politique de la région afin de maximiser l’isolement des inévitables satellites des États-Unis (cette fois, le Paraguay et l’Uruguay) est prévoyante et judicieuse.
Certes, il est urgent de remplacer l’OEA par la CELAC. Peut-être qu’à l’extérieur de la région, comme la gauche anti-impérialiste des États-Unis et du Canada, personne ne ressent cette urgence en raison, par exemple, du rôle de premier plan qu’a joué le gouvernement canadien, en alliance avec les États-Unis, dans la promotion d’un changement brutal de régime contre le président Maduro, élu conformément à la constitution. Il serait préférable que le gouvernement canadien revienne sur sa position proaméricaine, qui a contribué à son humiliante défaite pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU en juin 2020, et qu’il réponde favorablement à la suggestion de certains chefs d’État et de gouvernements exprimée à Mexico de former une alliance avec la CELAC basée sur le respect mutuel.
Le remplacement de l’OEA par la CELAC est inévitable. Quand aura-t-il lieu? Nous l’ignorons. Cependant, les causes justes triomphent toujours, surtout lorsqu’elles sont appuyées par toute une région. Prenons l’exemple de Cuba. Expulsé de l’OEA, il se trouve aujourd’hui au centre même de l’intégration régionale, à tel point que même les ennemis jurés de la révolution cubaine ont dû signer à Mexico un accord demandant aux États-Unis de lever le blocus criminel et génocidaire contre Cuba. En outre, au Mexique, le président cubain Miguel Díaz-Canel a marqué un point décisif contre le représentant uruguayen, qui a exprimé de manière provocante son soutien envers un changement de régime à Cuba, ce qui a insulté le pays. Díaz-Canel a alors offert une réponse ferme, qui a été suivie d’une « réfutation » larmoyante du représentant de l’Uruguay. Le président cubain a ensuite porté le coup de grâce – une digne défense de Cuba par son chef d’État.
Ainsi, en ce jour mémorable à Mexico, les spectres d’Hugo Chávez et de Fidel Castro sont revenus tourmenter les États-Unis et leurs alliés.
La restauration éventuelle de la CELAC sur les vestiges de l’OEA signifiera un changement majeur non seulement dans la géopolitique régionale, mais aussi à l’échelle internationale. C’est là que la Chine entre en scène. En juillet 2014, les dirigeants régionaux et la Chine ont déclaré ensemble la création du Forum Chine-CELAC. À l’invitation de la présidence tournante de la CELAC, le président chinois Xi Jinping s’est à son tour exprimé au Sommet de Mexico par visioconférence avec sous-titres en espagnol et en anglais. Il a déclaré que cet accord avait ouvert une nouvelle voie à la coopération entre la Chine, l’Amérique latine et les Caraïbes dans leur ensemble. La mise sur pied de cette entente il y a 10 ans a été une étape importante dans le processus d’intégration de la région, car elle s’est déroulée au moment où les pays s’efforçaient de préserver leur indépendance et leur autosuffisance. Jinping a affirmé que la Chine attachait une grande importance au renforcement des relations avec la CELAC et qu’il la soutenait dans la promotion d’une plus grande coopération entre ses membres et dans la recherche de solutions pour faire face aux défis communs.
Le remplacement à venir de l’OEA par la CELAC représentera donc un énorme changement géopolitique planétaire. Il contribuera à la quête de la multipolarité mondiale contre l’objectif perpétuel de l’Occident, dirigé par les États-Unis, de dominer les pays de l’hémisphère sud.
(La version originale de l’article, en espagnol, a d’abord été publiée dans teleSur et en anglais dans The Canada Files)
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